Timbres de droit pour les microbrasseries - Une chasse aux sorcières dépassée
Depuis plus de 35 ans, en tant que microbrasseurs, nous abreuvons les Québécois et Québécoises avec nos bières de qualité qui reflètent notre savoir-faire, notre terroir et notre labeur. Nous participons à la vitalité des régions où nous avons décidé de nous établir et nous sommes des maillons importants de l'économie locale.
Mais derrière nos bières se cache un goût amer lié à la gestion du timbre de droit, cette petite étiquette qui nous empoisonne la vie et nous cause de nombreux problèmes, quand elle ne nous amène pas carrément jusqu'en cour, au banc des accusés!
Le timbre de droit est apposé sur les bières vendues au Québec pour consommation sur place dans les bars et restaurants. À l'origine, il servait à contrer la contrebande et la fraude fiscale. Ses racines remontent à une époque ou le régime fiscal applicable aux boissons alcooliques vendues pour consommation à domicile dans les épiceries et dépanneurs (CAD) différait de celui applicable aux boissons alcooliques pour consommation sur place dans les bars et restaurants (CSP). Depuis 2014, rien ne justifie un contrôle fiscal spécifique, car les taxes payées pour un produit CAD et CSP sont les mêmes. En 2018, le gouvernement du Québec, dans le cadre du projet de loi 170, avait annoncé le retrait des timbres de droit pour juin 2020 sur les boissons alcooliques vendues pour consommation sur place (CSP). En mars 2020, dans le cadre d'un projet de loi budgétaire, le gouvernement provincial a annoncé que le retrait du timbre de droit était repoussé à une date ultérieure. Depuis, la situation est au beau fixe et la loi n'a pas changé. On nous avait promis que les policiers useraient de discernement, mais ce n'est malheureusement pas le cas...
Nous avons, nous aussi (comme toutes les entreprises de la province), des enjeux de main-d'oeuvre et de rentabilité. Pourquoi alors faire perdurer un système contre-productif qui n'a plus sa raison d'être, un système qui donne lieu à de nombreuses injustices, coûteux et mauvais pour l'environnement de surcroît?
Tous les jours, nous vivons avec un sentiment de stress perpétuel, une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Est-ce aujourd'hui qu'une erreur humaine sera commise pendant l'embouteillage ou l'étiquetage, ou alors qu'un problème d'encre nous traînera en cour? Est-ce aujourd'hui qu'un policier trouvera une de nos bières sans timbre CSP dans le frigo d'un restaurant ou d'un bar que nous approvisionnons? Est-ce aujourd'hui que la condensation sur une de nos bouteilles fera tomber le timbre qui y est collé, ce qui entraînera une amende? Est-ce aujourd'hui que notre distributeur ira porter une caisse de nos produits au mauvais endroit?
Double affront
Ces derniers mois, nous sommes nombreux à avoir dû nous rendre en cour pour nous défendre contre nos clients : des restaurateurs et propriétaires de bar chez qui des policiers ont trouvé l'un de nos produits qui ne portait pas de timbre CSP.
Imaginez devoir se battre contre des clients - souvent devenus des amis avec le temps -, car l'une des parties doit payer pour cette bière retrouvée sans timbre. Imaginez se retrouver au palais de justice de sa petite ville et y croiser les regards interrogateurs des gens du coin qui sont bien curieux de savoir quel délit nous avons commis.
Imaginez le temps perdu pour nous, les policiers et tout le système judiciaire pour une bière qui a bel et bien été acquise selon la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques et pour lequel le client a bel et bien payé ses taxes. Le seul méfait : cette pauvre bière a perdu son étiquette, soit pendant le voyage, soit parce que l'un de nos employés a oublié de timbrer ou qu'une imprimante à jet d'encre a connu une ratée!
Et comble du malheur, cette innocente bière s'est retrouvée dans un restaurant ou un bar que les policiers voulaient visiter pour une enquête!
Nous devrions tous être partenaire dans la lutte à l'économie souterraine : propriétaires de restaurants et de bars, policiers et microbrasseurs. Aujourd'hui, à cause de cette chasse aux sorcières, nous sommes en opposition et sommes loin de répondre à cet objectif.
Ce genre d'infraction est assujettie à une amende de 500$, qui peut monter jusqu'à 7500$ pour un récidiviste. Un montant assez considérable pour que plusieurs d'entre nous songent à arrêter de vendre aux restaurants et bars de leurs région. Imaginez le non-sens : un restaurateur qui n'offre plus les produits de microbrasserie de sa région!
Voilà des années que nous travaillons à faire avancer la loi, à changer cette sitiuation ridicule, que nous frappons à toutes les portes pour modifier cette loi obsolète.
Nous rêvons du jour ou le marquage aura disparu. Notre bière aura alors enfin le goût de la justice. Ce sera pour tous les microbrasseurs de la province l'une de nos plus grandes victoires. Ce sera un poids immense de moins sur nos épaules, mais aussi sur celles de nos partenaires d'affaires et de nos clients restaurateurs.
Le jour ou il n'y aura plus de timbres, nous pourrons enfin revenir à nos premières amours : travailler à faire rayonner nos régions et participer à un mouvement plus grand que nous, en faisant ce dans quoi nous excellons, de la bière.
Jean-François Nellis
Président de l'Association des
microbrasseries du Québec